Une interprétation de la convention franco-brésilienne, mais qui pourrait être transposable à d’autres…

1. Ce qu’il faut retenir

La convention fiscale franco-brésilienne, rédigée selon le modèle OCDE, pose 4 critères successifs afin de déterminer la résidence fiscale d’une personne. 

Le Conseil d’Etat est venu préciser la notion du lieu de séjour habituel (3ème critère), en se basant sur les commentaires OCDE (commentaire n°19) :  

  • elle doit s’apprécier au regard de la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours fait par le contribuable. 
  • En revanche, il n’est pas nécessaire que la durée des séjours  représente plus de la moitié de l’année 

CE., 16 juill. 2020, n°436570
Conv. France Brésil 10 sept. 1971

2. Conséquences pratiques

L’interprétation de la convention par le Conseil d’Etat du critère du lieu de séjour habituel, reprend à la lettre, les commentaires OCDE de la convention. L’expression « séjourne de façon habituelle » désigne la fréquence, la durée et la régularité des séjours qui font partie du rythme de vie normal d’une personne et ont un caractère plus que transitoire. 

Rappel:

Cette notion doit être distinguée de la notion de lieu de séjour principal en droit interne français (voir ci-dessous, § 3.4 analyse).

La convention franco-brésilienne est rédigée selon le modèle classique OCDE. La solution retenue par le Conseil d’Etat est donc transposable à l’ensemble des conventions rédigées sur ce modèle et ayant repris l’article 4 de la convention modèle OCDE pour qualifier la résidence fiscale. 

Remarque : 

Une grande partie des conventions fiscales sont rédigées sur le modèle OCDE, mais ce n’est pas un impératif et les pays ont toute latitude pour rédiger leur convention.
Par exemple : 

  • La convention entre la France et la Bulgarie ne prévoit pas le critère du lieu de séjour habituel pour déterminer la résidence;
  • La convention entre la France et la Côte d’ivoire emploie la notion de « lieu où il séjourne le plus longtemps », faisant prévaloir la durée. 
Avis : 

L’appréciation du lieu de séjour habituel au regard de la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours peut être plus incertaine qu’une interprétation basée uniquement sur la durée. Ainsi, pour sécuriser sa situation, on recommandera au contribuable de conserver les preuves de son passage dans l’Etat dont il se revendique résident.  

Plus encore, s’il ne veut pas risquer une requalification comme résident français par exemple,  il est conseillé de ne pas conserver de foyer d’habitation en France.  En effet, en évitant d’avoir deux foyers d’habitation,  on permet l’application du premier critère hiérarchique (foyer d’habitation permanent), plus objectif et moins sujet à interprétation que peuvent l’être les deux suivants (centre des intérêts vitaux et séjour habituel). 

De même, la conservation d’une résidence secondaire occupée occasionnellement, doit être envisagée avec vigilance car l’administration fiscale pourrait en faire un moyen de preuve d’un foyer d’habitation en France.

En pratique, ces difficultés de qualification peuvent  concerner un certain nombre d’expatriés. C’est notamment le cas de personnes retraitées qui s’expatrient, mais conservent une résidence secondaire en France, qui ont leur famille et la quasi-totalité de leur patrimoine en France et qui perçoivent, par ailleurs une retraite de source française. 

En effet, si le critère du foyer permanent doit être écarté, celui des intérêts vitaux peut être difficile à démontrer et il est possible, compte-tenu des liens étroits avec la France que l’expatrié soit qualifié de résident français. Si ce n’est pas le cas, on passe alors au critère tout aussi subjectif du lieu de séjour habituel. 

3. Pour aller plus loin

3.1. Contexte

3.1.1. La détermination de la résidence fiscale

La détermination de la résidence fiscale est l’étape initiale indispensable à la mise en œuvre  de la fiscalité internationale. En effet, c’est la résidence fiscale qui fixe les règles fiscales applicables aux contribuables.

Le droit interne de chaque pays ayant ses propres règles de détermination, il est possible pour un même contribuable d’être considéré comme résident fiscal par deux pays.  Pour remédier à cette difficulté, les conventions fiscales ont fixé leurs propres règles permettant de définir la résidence dans un seul Etat.

Dans un premier temps les conventions, et notamment celles rédigées sous le format OCDE (comme la convention franco-brésilienne), prévoient généralement un renvoi aux droits internes pour déterminer la résidence fiscale du contribuable.

3.1.1.1. La notion de résidence fiscale en droit interne

En droit interne français, la résidence fiscale est déterminée à partir de 4 critères alternatifs posés par l’article 4 B du CGI.

Est considérée comme résidente fiscale en France, la personne qui soit :

  • a en France son foyer ou le lieu de son séjour principal ;
  • exerce en France une activité professionnelle principale ;
  • a en France le centre de ses intérêts économiques.


Cependant, lorsque chacun des Etats signataires considère le contribuable comme étant son résident fiscal, il convient de faire intervenir la convention pour établir la résidence fiscale dans un seul des États.

Néanmoins, avant même d’appliquer la convention, les modèles OCDE,  prévoient une condition d’assujettissement à l’impôt dans les pays de résidence. Ainsi, ne sont considérés comme résidents fiscaux d’un Etat, au sens de ces conventions, que les contribuables soumis à une imposition dans cet Etat.

Cette précision conventionnelle s’ajoute au droit interne. Il a été jugé qu’une personne exonérée d’impôt dans un Etat, ne pouvait pas, au sens conventionnel, être considérée comme résident fiscal de cet Etat. Dès lors, la convention internationale n’a pas lieu d’être appliquée et il n’y a pas lieu de faire jouer les critères conventionnels de résidence.
CE., 27 juill. 2009, n°301266
CE 9 juin 2020, n° 434972

3.1.1.2. La notion de résidence fiscale en droit conventionnel

Une fois la personne considérée comme résidente des deux Etats, il convient d’analyser les critères conventionnels successifs établis par la Convention afin de déterminer de quel Etat elle est résidente, au sens de cette convention.

La rédaction des conventions est libre mais une grande partie est aujourd’hui rédigée selon le modèle OCDE. Ces conventions ont l’avantage de proposer des critères hiérarchisés (et non plus alternatifs comme c’est le cas en droit interne avec l’article 4 B du CGI) permettant le plus souvent de définir la résidence fiscale dans un seul Etat.

Les critères sont les suivants :

1er critère : le foyer d’habitation permanent

La jurisprudence va dans le sens des commentaires OCDE pour analyser ce critère. Il doit s’agir d’une habitation aménagée et réservée à l’usage de la personne, d’une manière durable.
Ainsi, une personne habitant en France,  qui dispose de manière constante dans un autre pays d’un appartement dont elle est propriétaire et qui n’est pas donné en location, peut être considérée comme ayant disposé d’un foyer d’habitation permanent dans cet autre Etat.
BOI-INT-CVB-DZA-10 § 90

En revanche, une personne qui détient une résidence en France mais qui est occupée par un tiers n’est pas considérée comme résident en France dès lors qu’elle exerce son activité et détient une résidence dans un autre pays qu’elle occupe effectivement, et ce malgré ses séjours fréquents en France.
CE 22 juin 2017, n°391379

Si la personne à deux foyers d’habitation permanent ou aucun, au sens de la convention, il convient alors de se référer au second critère.
 

2ème critère : le centre des intérêts vitaux

Contrairement au premier critère, relativement objectif, ce second critère est basé sur des appréciations subjectives et peut donc être plus difficile à établir ou écarter. Il s’agit de faire prévaloir les liens personnels et économiques d’une personne avec un Etat.  Il convient de prendre en compte une multitude d’indices révélant un lien personnel ou professionnel avec un Etat, tels que l’intégration à la vie sociale, la scolarisation des enfants, les dépenses de la vie courante, les consommations d’électricité, les adresses données aux organismes sociaux, etc.

Ainsi une personne, résidant à Londres avec sa compagne, et ayant un patrimoine au Royaume-Uni plus important que son patrimoine français, a été considérée comme ayant le centre de ses intérêts vitaux au Royaume-Uni, alors même que ses intérêts professionnels étaient situés en France et que sa fille vivait en France
CAA Paris, 15 mai 2018

Au contraire, le centre des intérêts vitaux a été établit en France pour une personne ayant une résidence en France et une en Algérie, mais dont les consommations d’eau, d’électricité, de téléphone, l’utilisation de comptes bancaires en France, permettait d’établir une utilisation régulière de la résidence française, et qui en outre, assurait la gérance d’une société en France, disposait en France d’un patrimoine important et tirait de la France le principal de ses revenus. 
CE 27 avril 2011, n°316082
 

3ème critère : le lieu de séjour habituel

Cette notion fait référence à la présence physique sur un territoire  (c’est-à-dire dans un foyer d’habitation mais aussi dans tout autre endroit de l’Etat). Il s’agit là encore d’un critère assez subjectif.
Il est utilisé lorsque l’intéressé dispose d’un foyer d’habitation dans les deux pays, mais qu’il n’est pas possible de déterminer l’État dans lequel il a le centre de ses intérêts vitaux, ou lorsque l’intéressé ne dispose d’un foyer principal d’habitation dans aucun des États contractants. 

Si la personne dispose d’un foyer d’habitation dans les deux pays , on cumule les séjours faits dans chacun des pays tant au foyer d’habitation permanent que dans tout autre endroit du même État. En revanche, si la personne ne dispose d’aucun foyer d’habitation, on prendra en compte tous les séjours effectués.

Le séjour habituel est déterminé par comparaison entre les durées de séjours effectués dans chacun des deux pays contractants.

Il existe peu de décisions jurisprudentielles fondées sur ce critère.
On peut retenir le cas d’ne personne disposant de deux foyers d’habitation en France et en Côte d’Ivoire, et pour lequel on ne pouvait déterminer le centre des intérêts vitaux, ayant été considérée comme non résidente française car elle ne séjournait en France que quelques semaines par an.
CAA Paris, 28 décembre 1995.
 

4ème critère : la nationalité

Il s’agit d’un critère objectif, facile à mettre en œuvre par les juges et qui est souvent utilisé.

A titre d’exemple, un français disposant d’un foyer d’habitation en France et en Allemagne, dont le centre des intérêts vitaux ne pouvait pas être déterminé et qui séjournait de façon habituelle dans les deux pays, a été établit comme résident français au regard de sa nationalité.
CE, 26 janv. 1990, n°69853

Enfin, à défaut de pouvoir établir la résidence dans un seul Etat  il est prévu la mise en œuvre d’une procédure amiable entre les Etats afin d’établir définitivement la résidence d’un contribuable.

Attention :

Ces critères ne concernent que les impôts visés par la convention (impôt sur le revenu, et sur la fortune le plus souvent) et ne s’appliquent pas aux éléments de droits civil ou à d’autres impôts hors convention (les droits de mutation à titre gratuit par exemple). Ainsi, les règles  de résidence fiscale posées par la convention franco-brésilienne ne traitent que de la partie fiscale et ne règle les problématiques de succession ou de divorce.

3.1.2. L’interprétation des conventions fiscales par le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat interprète principalement les conventions internationales de manière littérale. C’est une interprétation simple des mots, alliée au contexte qui est le plus souvent retenue.

Malgré tout, le Conseil d’Etat va également prendre en compte d’autres aspects et notamment la visée et l’objectif de la convention. Ainsi il ne doit pas perdre de vue que l’intérêt de la convention réside dans la répartition du pouvoir d’imposer tout en prévenant les risques de double impositions (ou de double non-imposition), de fraude. 

L’objectif d’élimination de la double imposition a été invoqué par le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 9 novembre 2015, pour juger qu’une fois exonéré dans un Etat à raison de son statut ou de son activité, l’assujetti ne peut être regardé comme assujetti à cet impôt au sens de la convention et donc ne pouvait être considéré comme résident fiscal de cet Etat. 
CE, 9 nov. 2015, n° 370054

Enfin, il n’est pas rare que le Conseil d’Etat utilise, ou face référence, aux commentaires OCDE lorsque les conventions sont rédigées selon ce modèle.
CE, 21 juil. 2017, n°392908

Attention :

Le juge peut se référer aux commentaires OCDE, mais en aucun cas ils ne peuvent s’imposer à lui. De plus, un commentaire de l’OCDE ne peut pas être pris en compte s’il est antérieur à la convention dont il est question.
CE 30 déc. 2003, n°233894

A défaut, il arrive que le juge se réfère à l’intention des rédacteurs et des signataires mais toujours en interprétant le plus littéralement possible les mots employés et en référence à l’objet et au but de la convention.

3.2. Faits et procédure

Monsieur B.A. a été assujetti au paiement de l’impôt et des contributions sociales 2013, en tant que résident fiscal français. Il  demande au tribunal administratif de Lyon d’être déchargé de ces cotisations, du fait de sa qualité de non résident fiscal français. Le tribunal rejette sa demande, le 4 juin 2019.

Il fait appel de la décision. Le 9 octobre 2019, la Cour administrative d’appel de Lyon rejette également sa demande et le considère comme résident fiscal français en application de l’article 4 de la convention internationale conclue entre la France et le Brésil, le 10 septembre 1971.

La Cour d’appel administrative applique successivement les critères issus de la convention afin de déterminer l’Etat de résidence du demandeur.

Elle écarte les deux premiers critères (foyer permanent et de centre des intérêts vitaux). Par ailleurs elle estime que les pièces fournies ne permettent pas de déterminer  la durée de présence du demandeur au Brésil et conclu donc que le troisième critère du lieu de séjour habituel est inopérant. Elle se fonde donc sur le 4ème critère, la nationalité, et établit ainsi la résidence fiscale du demandeur en France.

Le contribuable forme un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

3.3. Arrêt

Le 16 juillet 2020, le Conseil d’Etat annule la décision de la Cour administrative d’appel, pour ne pas avoir convenablement qualifié les faits.

Il retient que les pièces fournies permettaient d’établir que le contribuable avait effectué plusieurs séjours au Brésil pour une durée totale de 245 jours. Or, le critère du lieu de séjour habituel se caractérise en retenant la fréquence, la durée et la régularité des séjours réalisés dans le pays concerné, sans qu’il y ait besoin de rechercher une durée totale.

Ainsi, ces éléments auraient dû permettre à la Cour administrative d’appel d’appliquer le critère de séjour habituel et de qualifier le demandeur de résident fiscal brésilien.

3.4. Analyse

Distinction entre lieu de séjour habituel (droit conventionnel) et lieu de séjour principal (droit interne français)

Tout d’abord, il est essentiel de ne pas confondre la notion du lieu de séjour habituel définie dans les conventions, avec des notions voisines tel que le lieu de séjour principal.

En effet, ce dernier est un critère prévu en droit interne français pour déterminer si, au sens du droit français, la personne est résidente fiscale française. Contrairement à la notion du séjour habituel, celle du lieu de séjour principal est liée principalement à une notion de durée. L’administration fiscale estime que ce critère est généralement établi lorsqu’une personne séjourne plus de 6 mois en France au cours de l’année (183 jours).

En revanche, et comme l’illustre cet arrêt du Conseil d’Etat, le critère de séjour habituel n’est pas uniquement caractérisé par une durée et il n’y a donc pas lieu d’appliquer cette notion des 183 jours dans un pays, pour estimer qu’une personne remplie ou non le critère du lieu de séjour habituel.

Ainsi, il peut exister un séjour habituel dans chaque Etat alors même que l’on décompterait plus de jours passés dans l’un que dans l’autre. L’administration fiscale avait d’ailleurs déjà rappelé cette distinction dans ses commentaires BOFIP sur l’analyse de la convention franco-algérienne.
BOI-INT-CVB-DZA-10 §140

Période d’observation du lieu de séjour habituel

Les commentaires OCDE précisent que l’article 4 de la convention franco-brésilienne n’indiquent pas la période d’observation, pour établir le lieu de séjour habituel.
(commentaire sur l’article 4., n°19.1)

Si la jurisprudence ne semble pas étendue sur le sujet, les commentaires OCDE indiquent que l’examen du lieu de séjour habituel “doit porter sur une durée suffisamment longue pour évaluer la fréquence, de la durée et de la régularité des séjours qui font partie du rythme de vie normal de la personne”.

Ainsi, l’examen doit s’établir sur une période pendant laquelle il ne s’est pas produit de modifications radicales dans la vie de la personne (mariage, divorce, décès) qui auraient altérées son rythme de vie normal ou entrainées un changement de résidence ou du lieu de séjour habituel de manière momentanée.  

Cette période ne peut pas toujours coïncider avec la période de double résidence, notamment si elle est brève. Dans l’un des exemples donné par l’OCDE, la fréquence, la durée et la régularité des séjours sont évaluées sur une durée de 5 ans. Il faudrait néanmoins attendre une décision jurisprudentielle en la matière pour voir si le juge français reprend ces avis OCDE et définit plus précisément cette période d’observation.

En définitive, les contours de la notion de résidence fiscale demeurent flous. Or, la qualification de résident fiscal au sens des conventions est essentielle puisqu’elle permet de bénéficier des dispositions et d’éliminer notamment les risques de doubles impositions.   C’est pourquoi aujourd’hui, l’enjeu de cette qualification est source de contentieux car c’est au juge de trancher ces situations de faits.

Malgré tout, on peut noter en pratique que le critère du lieu de séjour principal est rarement retenu et souvent écarté au profit d’un critère plus objectif tel que la nationalité et c’est d’ailleurs ce qui avait été envisagée dans un premier temps par la Cour d’appel.