(Dernière mise à jour le 24 juin 2020)
La responsabilité du banquier pour défaut d’informations, sanctionnée sur le fondement de la perte de chance.
1. Ce qu’il faut retenir
Un banquier, agissant en qualité de courtier, qui propose un contrat d’assurance à un souscripteur non averti est tenu d’une obligation générale d’informations. Celle-ci doit être claire et loyale, et doit permettre au client de connaître les risques encourus, compte tenu de son profil.
La Cour de cassation précise qu’en cas de défaut d’information, l’assuré peut être indemnisé sur le fondement de la perte de chance sans qu’il n’ait besoin de prouver qu’il aurait opté de manière certaine pour un contrat plus adapté à sa situation, si le professionnel lui proposant les garanties avait correctement remplis ses obligations d’informations, de conseils et de mise en garde.Cass. civ. 2, 20 mai 2020, n°18-25440
2. Conséquences pratiques
La cour de cassation adopte ici une solution protectrice du consommateur non professionnel.
Dans la lignée des jurisprudences antérieures (voir § contexte), elle retient une lecture étendue des obligations pesant sur le banquier distributeur du contrat d’assurance. Ainsi, si l’assuré lésé ne peut forcer la banque à l’exécution du contrat, il peut néanmoins agir sur le fondement de la responsabilité est être indemnisé de son préjudice, caractérisé par la perte de chance.
Avis Fidroit :
Cette solution peut vraisemblablement s’étendre plus largement aux professionnels de la gestion de patrimoine qui proposent une assurance de prêt.
En pratique, toute une série de particuliers s’assurent, non en fonction des garanties, mais plus au regard des tarifs proposés. Cependant, en cas de mise en œuvre des garanties, une difficulté risque d’apparaitre pour l’assuré qui, ayant fait le choix d’une garantie dégradée, voit son efficacité limitée. Le particulier se retournera alors vers le conseil qui la lui a proposé.
Pour un professionnel, il faut donc raisonner à revers et mettre en exergue la garantie maximale pour couvrir le client sur tous les aléas.
Ainsi, afin limiter les risques de mise en cause de sa responsabilité pour défaut de conseil, le professionnel a tout intérêt à interpréter de manière large ses obligations d’informations, de conseil et de mise en garde et doit pouvoir apporter la preuve qu’il a présenté, le plus précisément possible, les solutions les mieux adaptées à la situation de son client.
Par prudence, on recommandera de présenter une garantie maximum dans la proposition initiale. Si par la suite le client, futur assuré, souhaite abaisser le tarif en diminuant les garanties proposées, cela relèvera alors de son propre choix et il lui sera alors plus difficile d’invoquer la responsabilité de son conseil pour défaut d’informations.
De même, en présence de plusieurs assurés potentiels (Madame et Monsieur par exemple), il est conseillé de proposer dans un premier temps une garantie couvrant à 100 % Monsieur et à 100 % Madame. Ainsi si ces derniers, pour divers raisons, et notamment des raisons de coût, décident de dégrader le niveau de garanties, par exemple 50 % Monsieur et 50 % Madame, ils ne pourront se retourner contre l’assureur pour perte de chance d’être mieux couverts car la proposition initiale d’une couverture totale leur avait été faite.
A l’inverse, un professionnel qui ne couvrirait que celui des deux conjoints qui possède le plus de patrimoine et de revenus pourrait être mis en défaut de conseil. En effet, si l’autre décède, le premier pourrait avoir malgré tout du mal à conserver son niveau de vie et son activité professionnelle dans les mêmes conditions qu’auparavant.
Enfin, plus que jamais il faut être vigilant et privilégier les propositions écrites à celles orales. Il pourrait être efficient, par exemple, d’intégrer dans la déclaration d’adéquation, la première solution d’assurance maximum présentée par le conseiller et de préciser le choix exprès du client de dégrader la solution initiale de garantie.
3. Pour aller plus loin
3.1. Contexte
Les obligations d’informations du professionnel face au souscripteur d’assurance non averti
Le professionnel proposant un contrat d’assurance à un souscripteur non averti doit satisfaire à plusieurs obligations :
- L’obligation d’information : les informations données doivent être exactes, claires, précises et non trompeuses. La simple fourniture d’une notice, même claire et précise, ne suffit pas à satisfaire aux obligations du professionnel.
C. ass. art. L. 132-27
Cass. plen., 2 mars 2007, n°06-15267 - Le devoir de conseil : le professionnel doit indiquer l’adéquation entre le contrat proposé et la situation personnelle du particulier contractant. C’est un avis subjectif et personnalisé.
- Le devoir de mise en garde : il impose aux professionnels d’avertir le souscripteur des risques liés au contrat souscrit afin que le client puisse avoir connaissance des inconvénients et des avantages de la solution présentée.
Cass. com. 18 mai 2016, n°14-15.988
Remarque :
En présence d’un client averti, le banquier reste soumis malgré tout à une obligation d’informations.
Cass. civ. 1, 30 sept. 2015, n°14.18854
Cependant, l’étendue de cette obligation pesant sur le professionnel est moins stricte que pour un investisseur non averti. Pour plus de précisions, voir notre actualité dédiée.
En outre, la responsabilité du courtier ne pourra pas être engagée si le souscripteur est en mesure d’apprécier le risque.
Cass. civ. 2, 17 janv. 2019, n°17-31408
Attention :
Ces obligations d’informations, de conseil et de mise en garde sont à la charge du professionnel qui propose et fait souscrire le contrat au client (le banquier intermédiaire par exemple) et pas nécessairement sur l’assureur qui se trouve en réalité lié au client qu’au jour de la souscription.
Cass. civ. 2, 9 déc. 2010, n°09-17113
La perte de chance, un argument d’indemnisation :
Cette notion de perte de chance est une construction jurisprudentielle. Elle a été définie par la Cour de cassation en 2006 comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » .
Cass. civ. 1, 21 nov. 2006, 05-15674 Très tôt la Cour de cassation a reconnu le caractère réparable de la perte de chance.
Cass. req. 17 juill. 1889, S. 1891, p.399
Malgré tout, une hésitation a persisté sur la notion perte de chance indemnisable. Dans un premier temps la jurisprudence a validé l’indemnisation d’une perte de chance même faible , avant d’exiger un seuil quantitatif, pour finalement revenir à une position plus large en reconnaissant l’indemnisation d’une perte de chance même minime .Pour certains auteurs cette solution n’est pas des plus opportunes en ce qu’elle risque de multiplier les contentieux.
Cass. civ. 1, 16 janv. 2013, n°12-14439
Cass. civ. 1, 30 avril 2014, n°13-16380
Cass. civ. 1, 12 oct. 2016, n°15-23230
Quoiqu’il en soit, pour être indemnisable la perte de chance doit satisfaire à plusieurs conditions posées par la jurisprudence :
- Elle doit exister et être certaine : la personne doit avoir été lésée d’une chance par la réalisation d’une faute. Il faut donc que le préjudice existe et qu’il soit réparable.
Cass. civ. 1, 14 oct. 2010, n° 09-69195 - Elle doit être réelle et sérieuse. En effet, la perte de chance ne peut être hypothétique. Il doit exister une possibilité suffisamment forte pour que l’évènement favorable se réalise et sa perte doit être certaine et ne doit pas pouvoir se représenter.
Cass. civ. 2, 1 oct. 2014, n°13-18750
Dans le cas d’une assurance emprunteur, cette perte de chance se caractérise lorsque l’assuré, en cas de manquement de la banque à ses obligations d’informations, n’a pas eu la possibilité de choisir des garanties plus adaptée à sa situation.
Cass. com., 31 janv. 2012, n°11-11700
Mais le souscripteur qui s’estime lésé doit-il démontrer sa perte de chance ? Doit-il apporter la preuve qu’il aurait souscrit à une meilleure assurance ? Est-ce à la banque de faire preuve du contraire ?
La jurisprudence a consacrée des solutions plus ou moins sévères sur la preuve à apporter. Ainsi elle a admis successivement que la preuve de la perte de chance pouvait découler du simple manquement du banquier à ses obligations ; puis que la perte de chance devait s’apprécier au-delà de la faute seule du banquier
Cass. com., 9 fév. 2010, n°09-10953
Cass. com., 31 mai 2011, n°10-20043
En dépit de ces incertitudes, on peut constater que la cour de cassation cherche plutôt à accroître l’étendue des obligations du professionnel (devoirs d’informations, de conseils et de mise en garde), tout en contrôlant néanmoins le caractère réel et sérieux de la perte de chance.
Cependant, la question de la preuve de la perte de chance demeure. Est-ce à l’assuré de démontrer qu’il aurait avec certitude fait un choix différent s’il avait eu connaissance de ses informations ? Ou suffit-il simplement qu’il démontre la perte de l’opportunité de faire un autre choix ? C’est en partie à ces questions que vient répondre la Cour de cassation dans cet arrêt.
3.2. Faits et procédure
Le 22 janvier 2001, Monsieur A, a adhéré à une assurance de groupe en garantie d’un prêt immobilier, afin de couvrir les risques de décès, invalidité et incapacité.
Le 14 mars 2008, Monsieur A est victime d’un accident de travail. L’assureur prend alors en charge les échéances mais refuse de maintenir sa garantie aux motifs que son taux d’incapacité fonctionnelle ne dépasse pas le taux minimum de prise en charge prévu par le contrat.
Monsieur, assigne alors la banque pour manquement à ses obligations d’informations, de conseils et de mise en garde.
La cour d’appel de Lyon, dans son arrêt du 8 novembre 2018, reconnait la responsabilité de la banque pour ne pas avoir alerté l’assuré sur les limites de sa garantie. En revanche, elle rejette la demande d’indemnisation de Monsieur A au titre de la perte de chance, car ce dernier n’a pas démontré qu’il aurait fait le choix d’une autre assurance s’il avait été mieux informé.
3.3. Arrêt
La Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 20 mai 2020, casse l’arrêt de la Cour d’appel, en rappelant que toute perte de chance ouvre droit à réparation et que les juges du fond ont violé l’article 1147 ancien (rédaction antérieur à l’ordonnance du 10 février 2016) en exigeant de l’assuré “qu’il démontre que s’il avait été parfaitement informé par la banque sur l’adéquation ou non de l’assurance offerte à sa situation, il aurait souscrit, de manière certaine, un contrat mieux adapté”.
3.4. Analyse
La Cour de cassation retient la responsabilité pour faute de la banque, au visa de l’article 1147 du code civil, dans sa version antérieure à 2016, car cette dernière n’a pas satisfait convenablement à ses obligations notamment d’informations de conseils et de mise en garde.
Remarque :
Les dispositions de l’article 1147 du code civil ont été recodifiées, suite à l’ordonnance du 10 février 2016, n°2016-131, à l’article 1231-1 dudit code.
Mais ce n’est pas tant la responsabilité de la banque sur le manquement à ses obligations qui pose difficulté, cela ayant été retenu au préalable par la Cour d’appel, mais plutôt les conséquences de ce manquement ; et notamment la perte de chance qu’elle engendre au détriment du souscripteur de l’assurance.
Or, c’est sur le fondement de cette perte de chance, que le souscripteur peut espérer une indemnisation.
Par cet arrêt la cour de cassation assoupli encore la faculté d’indemnisation de la perte de chance, puisqu’elle retient que ” toute perte de chance ouvre droit à réparation”. Elle suit ainsi la jurisprudence antérieure (voir § contexte, arrêts de 2013 et 2016) en n’imposant pas de seuil minimum de gravité afin de réparer la perte de chance. Surtout, elle retient que l’assuré n’a pas besoin de démontrer qu’il aurait avec certitude fait un choix différent si la banque avait rempli ses obligations.
En cela, la Cour décharge le particulier, souscripteur de l’assurance, d’apporter la preuve de sa perte de chance. Avec cet arrêt, la Cour de cassation semble confirmer sa volonté de sanctionner les comportements abusifs des professionnels assureurs face à des consommateurs qui ne seraient pas suffisamment éclairés.
Du fait de cette appréciation large de la notion de perte de chance (elle peut être minime), il peut exister un risque de multiplication des contentieux pour pertes de chance sur le fondement du manquement aux obligations d’informations ou conseils des professionnels.
Remarque :
L’arrêt ne tranche pas sur le montant de l’indemnisation à laquelle pourrait prétendre le demandeur pour perte de chance.
Cependant, la jurisprudence a déjà établi que l’indemnisation de la perte de chance est limitée à la somme correspondant à la chance perdue et ne donc peut être égale à l’avantage qui aurait été tiré si l’évènement favorable s’était réalisé.
Cass. com., 10 mars 2015, n°13-26.794
Les dommages et intérêts versés doivent donc représenter une quote-part de l’avantage espéré.
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